Recto-verso : ces tableaux à double sens (2024)

1. Giorgio de Chirico a bon dos

L’une des plus grosses «attractions» de la dernière édition de TEFAF, qui se tenait en juin à Maastricht, était le double Giorgio de Chirico trônant au milieu du stand de la galerie Dickinson. En 1920, l’artiste italien se lance dans une représentation néoclassique de Mercure, dieu du commerce et de la ruse dans la mythologie gréco-romaine. Rares sont les réemplois dans son œuvre. La meilleure solution dans ce cas était, selon lui, d’utiliser le recto d’une toile pour en préserver le verso. Aussi quand Paul et Gala Éluard lui commandent Le Retour du fils prodigue, deuxième version d’un tableau métaphysique esquissé en 1917et exécuté en 1922, pas question d’effacer le portrait initial! L’épisode biblique de surface revêt une connotation biographique: en 1924, De Chirico s’en retourne non seulement aux méthodes traditionnelles – les deux faces sont des tempera, peintures à base de jaune d’œuf – mais aussi à Paris, pour se rapprocher des surréalistes dont il se séparera définitivement en 1928.

Recto-verso : ces tableaux à double sens (1)

voir toutes les images

2. Van Gogh, le roi du réemploi

Nombre de ses lettres à son frère Théo témoignent des difficultés financières de Vincent Van Gogh . C’est pourquoi il lui arrivait régulièrement de recouvrir une composition, parfois en prenant le soin de gratter la matière au préalable ou alors de retourner son support pour en exploiter le dos, encore vierge. Cette dernière méthode s’applique à un autoportrait réalisé à Paris en 1887. La composition originelle, beaucoup plus sombre, représente une paysanne prise pour modèle à Nuenen, aux Pays-Bas. Le musée Van Gogh met un point d’honneur à exposer ce genre de travaux des deux côtés, dans des vitrines spéciales, afin que le public puisse les apprécier sous toutes les coutures. Tout récemment, la National Gallery d’Écosse a elle aussi eu la bonne surprise de découvrir un autoportrait caché sous du carton et de la colle qui recouvraient le revers d’un Portrait de paysanne (1885), dans la même veine que celui de l’institution hollandaise.

3. Picabia sens dessus dessous

Les années 1930, chez Francis Picabia, sont associées à la série des «transparences», juxtapositions de couleurs et de formes jouant sur le rapport entre «visible et invisible». C’est du moins ainsi que Léonce Rosenberg, le principal marchand de l’artiste, définissait cette période. Adjugé, vendu à 331760€ à l’Hôtel Drouot l’an passé, ce Portrait de femme et visage superposé (1939) appartenait depuis 1965 à une certaine Madame G., qui identifiait le modèle enchâssé comme Gala, l’ex-femme de Paul Éluard alors mariée à Salvador Dalí. La face plus tardive, datée des années 1942–1943, figure, quant à elle, une inconnue. Trois beautés pour le prix d’une. C’est ce qui s’appelle un carton plein!

Recto-verso : ces tableaux à double sens (3)

voir toutes les images

4. Füssli: les dessous d’un fantasme

Non, vous ne rêvez pas. Comme son nom l’indique, The Nightmare représente un cauchemar. Celui d’une femme étendue de tout son long, à la renverse, dans une robe en satin immaculé, avec un démon assis sur sa poitrine baignée de lumière. Ce dernier fixe le spectateur, tandis que depuis le sombre arrière-plan un cheval regarde la scène avec des yeux exorbités. Présenté pour la première fois à la Royal Academy de Londres, en 1782, ce tableau, l’un des plus grands succès de Johann Heinrich Füssli – bientôt à l’honneur au musée Jacquemart-André – demeure une énigme qui aura fasciné les psychanalystes jusqu’aux surréalistes. L’artiste, surnommé «le Suisse fou» se garda d’en donner la signification… Et si la clé résidait au revers de la toile? S’y trouve en effet un élégant portrait de femme que l’historien de l’art américain Horst Woldemar Janson a identifiée comme Anna Landolt, dont le peintre était tombé éperdument amoureux, avant qu’elle ne soit mariée à un autre. Ce qui, selon certains, ferait de lui le diable tentant malgré tout de la posséder…

Recto-verso : ces tableaux à double sens (4)

voir toutes les images

5. Munch coupé en deux

Entré dans la culture populaire, le Cri du peintre norvégien Edvard Munch se décline en cinq versions, dont certaines passent encore inaperçues. Le motif en question apparaît au recto et au verso d’un carton conservé au Nasjonalmuseet, qui vient d’ouvrir ses portes le 11juin, à Oslo. Le peintre n’ayant pas retourné son support à 90degrés, il est difficile de présenter l’étude crayonnée de 1893et la peinture de 1894qui en découle simultanément, dans une vitrine adaptée. «Les visiteurs seraient condamnés à en apprécier un côté la tête en bas», explique la conservatrice Vibeke Waallann Hansen. Le MUNCH, institution monographique située à proximité, ne connaît pas ce problème. Au dos de son esquisse du Cri (1893) se trouvait une variante de Vampire (Munch aimait travailler en série)… Jusqu’à ce que le support soit scindé en deux dans les années 1950. Depuis, le musée a la possibilité d’exposer les deux facettes de l’œuvre ensemble ou séparément. Pratique.

Recto-verso : ces tableaux à double sens (5)

voir toutes les images

6. Chez Amiet, tout n’est pas blanc

Ceci n’est pas un monochrome. Paysage de neige (Schneelandschaft) (1904) ne surprend pas tant par sa monumentalité (quatre mètres carrés) que par la surface démesurée accordée aux blancs, où se détache à peine un skieur. Dire que ce tableau du peintre suisse Cuno Amiet (1868–1961) en comptait trois à l’origine. L’artiste en a recouvert deux. Ce repentir, modification apportée à la composition au moment de son exécution, ne se remarque pas au recto mais au verso de la toile, comme a pu le constater Sophie Calle au moment où elle préparait sa dernière exposition au musée d’Orsay. Cette réapparition «au dos» de l’œuvre l’a immédiatement rappelée au bon souvenir d’Oddo, ancien employé dont elle avait retrouvé notes et correspondance, à la fin des années 1970, soit au moment où elle squattait, faisait dodo, incognito, dans l’ancienne gare parisienne.

Recto-verso : ces tableaux à double sens (6)

voir toutes les images

7. Tea time avec Braque

Approchez! C’est l’heure du goûter. Cette Théière sur un fond jaune (1955) s’inscrit dans une série de natures mortes au même motif, développée dans les années 1940. Seulement, au dos de cette œuvre, conservée au Guggenheim de New York, se cache un fragment de composition cubiste réalisée dans les années 1910. Les nombreuses craquelures et l’état des bords indiquent que la toile aurait été coupée et retendue dans les années 1950, avant d’être réemployée. Abstrait, à dominante crème et d’aspect granuleux, le verso n’a rien de commun avec le recto, lumineux et figuratif, du tableau. Si ce n’est peut-être son orientation, à l’horizontale, comme la plupart des figures géométriques de Braque au début des années 1920.

Recto-verso : ces tableaux à double sens (7)

voir toutes les images

Art contemporain Peinture Cuno Amiet

Art moderne

Retrouvez dans l’Encyclo : Vincent Van Gogh Georges Braque Edvard Munch Francis Picabia Giorgio de Chirico Johann Heinrich Füssli

Recto-verso : ces tableaux à double sens (2024)
Top Articles
Latest Posts
Article information

Author: Nathanial Hackett

Last Updated:

Views: 5648

Rating: 4.1 / 5 (52 voted)

Reviews: 91% of readers found this page helpful

Author information

Name: Nathanial Hackett

Birthday: 1997-10-09

Address: Apt. 935 264 Abshire Canyon, South Nerissachester, NM 01800

Phone: +9752624861224

Job: Forward Technology Assistant

Hobby: Listening to music, Shopping, Vacation, Baton twirling, Flower arranging, Blacksmithing, Do it yourself

Introduction: My name is Nathanial Hackett, I am a lovely, curious, smiling, lively, thoughtful, courageous, lively person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.